Face à l’urgence climatique, le cadre juridique entourant l’empreinte carbone des entreprises connaît une évolution rapide. Les législateurs nationaux et internationaux multiplient les dispositifs contraignants pour réduire l’impact environnemental du secteur privé. Cette transformation du paysage normatif impose aux organisations de repenser leurs stratégies et leur gouvernance. Entre obligations de reporting, mécanismes de compensation et risques de contentieux climatiques, les entreprises doivent désormais intégrer la dimension carbone dans leur conformité juridique. Ce nouveau paradigme dessine les contours d’une responsabilité environnementale élargie, dont les implications juridiques et économiques sont considérables pour tous les acteurs du marché.
Cadre juridique international et européen : fondements de la régulation carbone
Le droit de l’empreinte carbone des entreprises s’est construit progressivement à partir d’un ensemble de textes internationaux qui constituent aujourd’hui le socle de cette régulation. Le Protocole de Kyoto, adopté en 1997, a marqué une première étape significative en établissant des objectifs contraignants de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour les pays développés. Bien que ne visant pas directement les entreprises, ce texte a initié une dynamique normative qui a ensuite infusé dans le droit des affaires.
L’Accord de Paris de 2015 représente un tournant majeur avec son objectif de limiter le réchauffement climatique à un niveau bien inférieur à 2°C. Cet accord a renforcé la pression sur les États pour qu’ils mettent en place des cadres réglementaires contraignants pour les acteurs économiques. La Cour de justice de l’Union européenne a d’ailleurs reconnu dans plusieurs arrêts la valeur juridique des engagements pris dans ce cadre, créant ainsi une base pour de futures actions en responsabilité.
Le rôle moteur de l’Union européenne
L’Union européenne s’est positionnée comme chef de file mondial en matière de régulation carbone des entreprises. Le Système d’échange de quotas d’émission (SEQE-UE), instauré en 2005, constitue le premier marché carbone multinational d’envergure. Ce mécanisme de « cap and trade » impose aux entreprises de secteurs intensifs en carbone (énergie, industrie lourde, aviation) de disposer d’un quota pour chaque tonne de CO₂ émise, créant ainsi un prix du carbone et une incitation économique à la décarbonation.
Le Pacte vert européen (European Green Deal) lancé en 2019 a considérablement renforcé ce cadre en fixant l’objectif de neutralité carbone d’ici 2050. Pour y parvenir, la Commission européenne a élaboré un ensemble de textes juridiques dont la portée sur les entreprises est considérable:
- Le règlement Taxonomie (2020/852) qui établit une classification des activités économiques durables
- La directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) qui étend les obligations de reporting extra-financier
- Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières qui vise à prévenir les fuites de carbone
Le règlement SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) impose quant à lui aux acteurs financiers de divulguer comment ils intègrent les risques climatiques dans leurs décisions d’investissement, créant ainsi une pression indirecte sur toutes les entreprises cherchant des financements.
La Cour de justice de l’Union européenne joue un rôle fondamental dans l’interprétation de ces textes. Dans l’affaire C-565/19P, elle a validé l’extension du SEQE-UE au secteur de l’aviation, confirmant la légitimité de l’UE à imposer des obligations climatiques aux entreprises opérant sur son territoire, y compris aux acteurs non-européens.
Obligations déclaratives et transparence carbone en droit français
Le droit français se distingue par son avant-gardisme en matière d’obligations déclaratives liées à l’empreinte carbone. La loi Grenelle II de 2010 a posé les premiers jalons en imposant aux grandes entreprises de publier des informations environnementales dans leur rapport de gestion. Cette exigence a été considérablement renforcée par l’article 173 de la loi de Transition Énergétique pour la Croissance Verte de 2015, qui a introduit l’obligation pour les investisseurs institutionnels de communiquer sur l’intégration des paramètres climatiques dans leur politique d’investissement.
La loi PACTE de 2019 a franchi une étape supplémentaire en modifiant l’article 1833 du Code civil pour stipuler que les sociétés doivent être gérées dans leur intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux. Cette disposition, bien que formulée de manière générale, a des implications directes sur la gestion de l’empreinte carbone et a déjà été invoquée dans plusieurs contentieux climatiques devant les tribunaux de commerce.
Le bilan d’émissions de gaz à effet de serre (BEGES)
Le dispositif le plus structurant en droit français est l’obligation de réaliser un bilan d’émissions de gaz à effet de serre (BEGES), codifiée à l’article L. 229-25 du Code de l’environnement. Cette obligation concerne:
- Les personnes morales de droit privé employant plus de 500 personnes
- Les personnes morales de droit public employant plus de 250 personnes
- Les collectivités territoriales de plus de 50 000 habitants
Le BEGES doit être mis à jour tous les quatre ans et publié sur une plateforme informatique gérée par l’ADEME. Il doit couvrir a minima les émissions directes (scope 1) et les émissions indirectes liées à l’énergie (scope 2). Le décret n° 2022-982 du 1er juillet 2022 a renforcé ces exigences en imposant désormais aux entreprises de publier un plan de transition pour la réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre.
L’absence de publication du BEGES est sanctionnée par une amende pouvant atteindre 10 000 euros, montant jugé insuffisant par de nombreux observateurs. Un rapport de la Cour des comptes publié en 2021 a souligné le faible taux de conformité (environ 36%) et recommandé un renforcement des sanctions. Le projet de loi Climat et Résilience prévoit d’ailleurs un durcissement du dispositif.
La Déclaration de Performance Extra-Financière (DPEF)
La Déclaration de Performance Extra-Financière (DPEF), qui a remplacé le rapport RSE, constitue un autre pilier du dispositif français. Codifiée aux articles L. 225-102-1 et R. 225-105 du Code de commerce, elle impose aux grandes entreprises de publier des informations sur leur politique de lutte contre le changement climatique et ses résultats, incluant les postes significatifs d’émissions directes et indirectes.
La DPEF doit être vérifiée par un organisme tiers indépendant (OTI), ce qui renforce sa crédibilité. Le Conseil d’État a précisé dans une décision du 13 juillet 2021 que cette vérification devait porter tant sur la sincérité des informations que sur leur exhaustivité, renforçant ainsi les exigences de transparence.
Responsabilité juridique et contentieux climatiques liés à l’empreinte carbone
L’émergence des contentieux climatiques représente une évolution majeure dans le paysage juridique lié à l’empreinte carbone des entreprises. Ces actions en justice, qui étaient marginales il y a encore une décennie, se multiplient désormais à l’échelle mondiale. En France, l’affaire Notre Affaire à Tous c. Total illustre cette tendance. Dans cette procédure initiée en 2020, des associations environnementales et des collectivités territoriales ont assigné la société TotalEnergies sur le fondement du devoir de vigilance, lui reprochant l’inadéquation de son plan de vigilance face aux risques climatiques générés par ses activités.
Cette affaire s’inscrit dans un mouvement plus large de judiciarisation des enjeux climatiques, dont l’affaire emblématique Urgenda aux Pays-Bas a constitué un précédent remarquable. La Cour suprême néerlandaise a confirmé en 2019 que l’État avait une obligation positive de protection contre le changement climatique, ouvrant la voie à des raisonnements similaires appliqués aux entreprises.
Les fondements juridiques de la responsabilité carbone
Plusieurs fondements juridiques sont mobilisés dans ces contentieux :
- La responsabilité civile (articles 1240 et suivants du Code civil) pour faute ou négligence dans la gestion de l’empreinte carbone
- Le devoir de vigilance (loi n° 2017-399) qui impose aux grandes entreprises d’identifier et prévenir les risques environnementaux
- L’obligation générale de sécurité (article L. 221-1 du Code de la consommation) qui peut être invoquée en cas de produits contribuant excessivement au changement climatique
La jurisprudence en la matière est en construction rapide. Dans l’affaire Shell aux Pays-Bas (mai 2021), le tribunal de La Haye a ordonné à la multinationale de réduire ses émissions de CO₂ de 45% d’ici 2030 par rapport à 2019. Cette décision inédite établit une responsabilité directe de l’entreprise dans la lutte contre le changement climatique, y compris pour les émissions indirectes (scope 3) liées à l’utilisation de ses produits.
En France, le Conseil d’État a rendu en 2021 une décision dans l’affaire Grande-Synthe qui, bien que concernant l’État, pourrait avoir des répercussions sur les entreprises. En reconnaissant l’obligation pour l’État de respecter sa trajectoire de réduction des émissions, cette décision pose les bases d’un contrôle juridictionnel des engagements climatiques qui pourrait s’étendre aux acteurs privés.
Le greenwashing face au droit
Un aspect particulier de la responsabilité juridique concerne le greenwashing, c’est-à-dire la communication trompeuse sur les performances environnementales. L’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) a renforcé son référentiel « Développement durable » pour lutter contre ces pratiques, tandis que la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) multiplie les contrôles.
La loi Climat et Résilience a introduit le délit de « pratiques commerciales trompeuses environnementales » à l’article L. 132-2 du Code de la consommation, avec des sanctions pouvant atteindre 80% du coût de la campagne publicitaire incriminée. Cette disposition a déjà donné lieu à des mises en demeure, notamment contre des entreprises du secteur automobile vantant le caractère « écologique » de véhicules SUV.
Les tribunaux de commerce commencent également à sanctionner les allégations environnementales non fondées. Dans un jugement du 6 février 2023, le Tribunal de commerce de Paris a condamné une entreprise textile pour tromperie sur la réalité de son empreinte carbone, ouvrant la voie à une jurisprudence plus stricte en la matière.
Mécanismes économiques et fiscaux de la régulation carbone
Au-delà des obligations déclaratives et des responsabilités juridiques, le droit de l’empreinte carbone s’appuie sur des mécanismes économiques et fiscaux qui visent à intégrer le coût environnemental dans les décisions des entreprises. Le principe du « pollueur-payeur », consacré à l’article L. 110-1 du Code de l’environnement, sous-tend ces dispositifs qui combinent incitations et pénalités.
La taxe carbone française, composante de la Taxe Intérieure de Consommation sur les Produits Énergétiques (TICPE), constitue un premier niveau d’internalisation des coûts environnementaux. Fixée initialement à 7€ par tonne de CO₂ en 2014, elle a progressivement augmenté pour atteindre 44,60€ en 2021, avant que sa trajectoire d’augmentation ne soit gelée suite au mouvement des Gilets jaunes. Le Conseil constitutionnel a validé le principe de cette taxe dans sa décision n° 2009-599 DC, tout en censurant certaines exemptions jugées contraires au principe d’égalité devant l’impôt.
Marchés carbone et quotas d’émission
Le système d’échange de quotas d’émission européen (SEQE-UE) représente le mécanisme le plus structurant pour les entreprises des secteurs intensifs en énergie. Ce marché carbone, le plus important au monde, couvre environ 40% des émissions de gaz à effet de serre de l’UE et concerne plus de 11 000 installations industrielles et compagnies aériennes.
Son fonctionnement juridique est précisé dans le Code de l’environnement aux articles L. 229-5 à L. 229-19. Les entreprises assujetties doivent:
- Obtenir une autorisation d’émettre des gaz à effet de serre
- Déclarer leurs émissions annuelles vérifiées par un organisme accrédité
- Restituer un nombre de quotas correspondant à leurs émissions
La phase 4 du système (2021-2030) a introduit plusieurs modifications significatives, notamment une réduction annuelle plus rapide du plafond d’émissions (2,2% contre 1,74% auparavant) et une diminution des allocations gratuites. Le règlement (UE) 2018/842 a par ailleurs renforcé les objectifs nationaux de réduction pour les secteurs non couverts par le SEQE-UE.
La jurisprudence de la CJUE a précisé plusieurs aspects de ce régime, notamment dans l’arrêt C-148/14 qui a validé la méthode de calcul des allocations gratuites de quotas, ou dans l’affaire C-5/16 qui a confirmé la validité du système face à des contestations d’entreprises polonaises.
Incitations fiscales et subventions vertes
Le droit fiscal français comporte plusieurs dispositifs incitatifs pour la réduction de l’empreinte carbone des entreprises. L’amortissement accéléré pour les équipements destinés à économiser l’énergie (article 39 AB du Code général des impôts) permet de déduire fiscalement plus rapidement les investissements bas-carbone. Le crédit d’impôt recherche (CIR) peut également s’appliquer aux travaux de R&D visant à réduire l’empreinte carbone des procédés industriels.
Les aides d’État en faveur de la décarbonation sont encadrées par les lignes directrices concernant les aides d’État à la protection de l’environnement et à l’énergie adoptées par la Commission européenne. Le plan France Relance a alloué 1,2 milliard d’euros à la décarbonation de l’industrie, avec des subventions distribuées par l’ADEME selon des modalités précisées par le décret n° 2020-1485 du 1er décembre 2020.
La Banque européenne d’investissement (BEI) a par ailleurs adopté une nouvelle politique de prêts qui exclut le financement des projets liés aux énergies fossiles à partir de 2022, créant une incitation supplémentaire à la décarbonation. Cette orientation a été validée par la Cour des comptes européenne dans son rapport spécial n° 18/2020.
Vers un droit de l’empreinte carbone globalisé et préventif
L’évolution du cadre juridique de l’empreinte carbone dessine une trajectoire claire vers un droit plus globalisé et davantage axé sur la prévention. Cette tendance se manifeste d’abord par l’extension progressive du périmètre des émissions considérées. Si les premières réglementations se concentraient sur les émissions directes (scope 1), les exigences juridiques intègrent désormais les émissions indirectes liées à l’énergie (scope 2) et commencent à appréhender les émissions de la chaîne de valeur (scope 3).
La directive CSRD européenne, qui entrera pleinement en application en 2024, marque une étape décisive en imposant aux entreprises concernées de publier des informations sur l’ensemble de leur chaîne de valeur. Cette approche est renforcée par le règlement sur la déforestation importée adopté en 2023, qui oblige les entreprises à vérifier que les produits mis sur le marché européen n’ont pas contribué à la déforestation, même dans des pays tiers.
L’harmonisation internationale des normes
Face à la multiplication des cadres nationaux et régionaux, un mouvement d’harmonisation internationale se dessine. L’International Sustainability Standards Board (ISSB), créé en 2021 sous l’égide de la Fondation IFRS, travaille à l’élaboration de normes globales de reporting climatique qui pourraient devenir une référence mondiale. Son premier standard, l’IFRS S2 relatif aux informations liées au climat, a été publié en juin 2023.
Cette harmonisation répond à une demande pressante des investisseurs et des entreprises multinationales confrontées à des exigences disparates. La Task Force on Climate-related Financial Disclosures (TCFD), créée par le Conseil de stabilité financière, a joué un rôle précurseur en proposant dès 2017 un cadre de référence pour la publication d’informations financières liées au climat. Ses recommandations ont été progressivement intégrées dans les législations nationales, comme en témoigne l’article 29 de la loi Énergie-Climat en France.
Le Secrétaire général des Nations Unies a par ailleurs lancé en 2023 un groupe de travail sur la régulation des engagements climatiques des acteurs non-étatiques, visant à établir des standards minimaux pour les objectifs « net-zéro » des entreprises. Cette initiative pourrait aboutir à un traité international sur la transparence carbone, prolongeant la dynamique de l’Accord de Paris.
Du curatif au préventif : l’évolution du paradigme juridique
Le droit de l’empreinte carbone connaît une mutation profonde, passant d’une approche curative (sanctionner après le dommage) à une logique préventive. Cette évolution se manifeste par l’émergence de nouveaux principes juridiques comme le « duty of care » climatique, consacré par plusieurs décisions de justice notamment dans l’affaire Milieudefensie c. Shell.
En France, le principe de précaution, inscrit dans la Charte de l’environnement à valeur constitutionnelle, est de plus en plus invoqué dans les contentieux climatiques. Le Conseil d’État a confirmé dans sa décision Grande-Synthe du 19 novembre 2020 que ce principe s’appliquait pleinement à la lutte contre le changement climatique et imposait une action anticipatrice.
Cette approche préventive se traduit également par l’émergence d’obligations juridiques de planification à long terme. La loi Climat et Résilience impose ainsi aux entreprises soumises au BEGES de publier un plan de transition pour la réduction de leurs émissions. De même, la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC), instaurée par la loi de Transition énergétique, fixe des budgets carbone sectoriels qui se répercutent sur les obligations des entreprises.
Les contrats climatiques constituent une innovation juridique prometteuse dans cette perspective préventive. Inspirés des « climate transition agreements » britanniques, ces contrats entre l’État et les entreprises des secteurs intensifs en carbone définissent une trajectoire de décarbonation sur mesure, assortie d’engagements réciproques. Le Conseil d’État a validé ce mécanisme dans un avis du 8 septembre 2022, sous réserve qu’il respecte les principes d’égalité et de liberté d’entreprendre.
L’intégration croissante des considérations climatiques dans le droit des sociétés constitue un autre aspect de cette évolution. La multiplication des résolutions climatiques lors des assemblées générales d’actionnaires, comme celle adoptée chez TotalEnergies en mai 2023, témoigne d’une appropriation des enjeux carbone par la gouvernance d’entreprise. Cette tendance devrait s’accentuer avec la directive sur le devoir de vigilance en cours d’adoption au niveau européen, qui intégrera explicitement les risques climatiques dans les obligations des dirigeants.
Défis et opportunités juridiques de la transition bas-carbone
La transformation du cadre juridique de l’empreinte carbone génère à la fois des défis considérables et des opportunités stratégiques pour les entreprises. Le premier défi réside dans la complexité croissante et l’instabilité du cadre normatif. Les entreprises doivent désormais maîtriser un corpus de règles en constante évolution, impliquant des domaines aussi divers que le droit de l’environnement, le droit des sociétés, le droit fiscal ou encore le droit de la consommation.
Cette complexité est renforcée par la multiplication des échelles de régulation. Une même entreprise peut être soumise simultanément à des obligations définies au niveau international, européen, national et parfois même local, comme l’illustrent les Zones à Faibles Émissions (ZFE) instaurées par certaines métropoles françaises. La Cour de cassation a d’ailleurs reconnu dans un arrêt du 5 octobre 2022 la légitimité des collectivités territoriales à imposer des contraintes spécifiques liées à l’empreinte carbone des activités économiques sur leur territoire.
Sécurité juridique et anticipation réglementaire
Face à cette complexité, la sécurisation juridique des stratégies bas-carbone devient un enjeu majeur. Les cabinets d’avocats développent désormais des pratiques spécialisées en « climate law » pour accompagner les entreprises dans cette transition. Plusieurs approches permettent de renforcer cette sécurité juridique:
- La réalisation d’audits juridiques carbone pour identifier les risques de non-conformité
- L’adoption de chartes internes définissant des procédures de diligence raisonnable climatique
- Le recours à des certifications tierces comme la Science Based Targets initiative (SBTi) pour valider les trajectoires de décarbonation
L’anticipation réglementaire constitue un avantage compétitif significatif. Les entreprises qui ont devancé les obligations légales en matière de reporting carbone, comme Schneider Electric ou L’Oréal, ont pu transformer une contrainte en opportunité de différenciation. Cette approche proactive permet également de réduire les risques juridiques liés aux contentieux climatiques, comme l’a souligné la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 19 mai 2022 qui a valorisé les démarches volontaires d’une entreprise au-delà de ses strictes obligations légales.
Nouveaux modèles contractuels et financements verts
La transition bas-carbone génère une innovation juridique considérable dans le domaine contractuel. Les contrats d’achat d’électricité renouvelable (Power Purchase Agreements ou PPA) se développent rapidement, permettant aux entreprises de sécuriser leur approvisionnement en énergie décarbonée sur le long terme. Le cadre juridique de ces contrats a été précisé par la Commission de régulation de l’énergie dans sa délibération du 12 mars 2020.
Les clauses carbone font leur apparition dans de nombreux contrats commerciaux, imposant des obligations de performance environnementale aux cocontractants. La Cour d’appel de Lyon, dans un arrêt du 7 janvier 2022, a reconnu la validité de telles clauses et la possibilité de conditionner certaines obligations contractuelles au respect d’engagements de réduction d’émissions.
Du côté des financements, les obligations vertes (green bonds) et les prêts à impact (sustainability-linked loans) connaissent un développement exponentiel. Ces instruments financiers, dont les conditions sont indexées sur des performances environnementales, nécessitent un cadre contractuel sophistiqué pour définir les indicateurs de performance, les mécanismes de vérification et les conséquences d’un non-respect des objectifs.
L’Autorité des marchés financiers (AMF) a publié en 2020 une doctrine spécifique sur les informations à fournir dans le cadre des émissions d’obligations vertes, renforçant ainsi la sécurité juridique de ces opérations. Le règlement européen sur les obligations vertes (European Green Bond Standard), en cours d’adoption, devrait harmoniser davantage ces pratiques.
Ces innovations contractuelles s’accompagnent d’évolutions dans les mécanismes de garantie. Les assurances paramétriques liées aux risques climatiques se développent, tandis que les garanties bancaires intègrent progressivement des critères d’empreinte carbone. Le Haut Conseil de Stabilité Financière a d’ailleurs recommandé dans son rapport de décembre 2022 une meilleure prise en compte des risques climatiques dans les mécanismes prudentiels.
En définitive, le droit de l’empreinte carbone des entreprises se caractérise par son dynamisme et son caractère transversal. Loin d’être une simple contrainte réglementaire, il devient un levier de transformation des modèles économiques et un catalyseur d’innovation juridique. Les entreprises qui sauront naviguer dans cette complexité normative et anticiper les évolutions réglementaires disposeront d’un avantage stratégique considérable dans la transition vers une économie décarbonée.